Archives du tag ‘14 mars 2005

Pourquoi la justice – et la réconciliation ?   1 comment

 
 

Le 14 mars 2005, l'instant de la réconciliation historique... (photo L'Orient-Le Jour).

 

Ce blog s’appuie essentiellement sur des archives personnelles, comme on aura pu le constater. J’essaie en effet de retracer onze ans de parcours personnel, en rétablissant certains faits, à travers des articles publiés ou des conférences données. J’ai le malheur d’être un malade de cohérence, d’où ma répugnance viscérale pour les tentatives de réécriture permanente de l’histoire. L’objectif est donc ici de recréer un lien entre l’actualité et le passé proche, ce dernier servant de grille explicative pour décrypter un événement qui vient de se produire ou pour démentir, si besoin est, une manipulation.

Or, exceptionnellement, je ne réagirai pas cette fois à un événement passé en ressortant un article écrit il y a une poignée d’années, mais en essayant de réagir à chaud sur l’actualité immédiate – ce que je fais en tant qu’analyste et que journaliste d’opinion pour L’Orient-Le Jour. Mais c’est parce que l’initiative à laquelle je consacre ce post me paraît essentielle à publier dans le cadre de ce bog.  

Un groupe d’une centaine de cadres et d’intellectuels, qui représentent quelque part la fibre civile qui a vibré tout au long de l’intifada de l’indépendance sans jamais plus se retrouver ensuite dans les formations partisanes qui constituent le mouvement du 14 Mars, viennent en effet de lancer, le mardi dernier 7 décembre 2010 à l’hôtel Gabriel, le Rassemblement pour la justice et la réconciliation, qui appréhende déjà la période de l’après acte d’accusation que le Tribunal spécial pour le Liban doit en principe faire paraître incessamment, dans les jours ou les semaines à venir.

Le nom du rassemblement a certainement dû en frapper plus d’un. Il est évident, en tout cas, qu’il suscite les réactions les plus variées au niveau de l’opinion publique.

Certains n’y verront en effet rien de plus que du rabâchage de formulations déjà utilisées et se contenteront de qualifier le texte de nouvelles errances stupides et stériles émanant du secrétariat général du 14 Mars. C’est en effet le genre de commentaires superficiels et totalement partiaux que l’on retrouvera d’ici quelques jours sur certains blogs gravitant dans l’orbite du courant aouniste et de cette nouvelle extrême-droite/extrême-gauche nébuleuse fascinée par le Hezbollah.

D’autres, au sein du 14 Mars « traditionnel », n’en verront pas le sens ou la fonction. Pris dans l’engrenage de la politique politicienne, ils n’analyseront probablement cette initiative que dans le cadre des enjeux de pouvoir en cours tant sur le plan local que régional, et en tireront la conclusion suivante : il y a effectivement un compromis en cours sur la dynamique du TSL, et cette initiative, qui formule, toujours selon cette logique, l’hérésie d’une « réconciliation » au moment même de la confrontation, serait le signe annonciateur de la reddition prochaine et totale du 14 Mars. En d’autres termes, dans l’optique de ceux qui pourraient adopter ce positionnement par rapport au texte fondateur du RJR, parler de « réconciliation », c’est donc vouloir se réconcilier avec ceux qui pourraient être mis en cause par la justice, la Syrie ou le Hezbollah. D’où la « mollesse » du document en question, qui prépare les troupes a la capitulation.  

Or il y a évidemment beaucoup de mauvaise foi –  ou bien d’égarements – dans ces deux postures analytiques. Car la réconciliation dont il est fait état dans ce document n’a absolument rien à voir avec un quelconque compromis politicien vaseux qui viendrait émousser l’effet de la justice. Loin de là. C’est justement en choisissant d’emblée de se placer dans une perspective de politique politicienne que ces éventuels sceptiques pourraient s’égarer, et se retrouver sur une fausse piste. L’erreur viendrait peut-être du fait de la confusion qui règne dans les esprits entre le thème politique de la « réconciliation » et la pratique politicienne du « compromis ». Or s’il n’a jamais pu être réellement question d’une « réconciliation » au Liban dans la pleine acception du terme, c’est bien en raison des « compromis » qui en ont toujours été les fossoyeurs. A titre d’exemple, la loi d’amnistie imposée par la Syrie au lendemain de la fin de la guerre civile avait pour but d’empêcher toute réappropriation par les Libanais de leur histoire et de leur mémoire. Tous les coupables ont ainsi été « rachetés », moyennant leur ralliement à l’occupant syrien et la légitimation de son pouvoir tyrannique – sauf ceux qui ont refusé l’offre alléchante à l’époque pour croupir ensuite en prison onze ans durant.

L’objectif de ce « rachat » était certes d’abord de nature politique. Il était en effet plus facile de manipuler les pions déjà sur le terrain plutôt que d’en créer de nouveaux. Qui plus est, la manipulation desdits pions était plus facile, puisque le décideur syrien tout-puissant pouvait facilement, lorsqu’il jugeait tel ou tel pion trop rebelle à son goût, décider par illumination soudaine de se souvenir de son passé criminel pour mieux l’abaisser, le contenir, le dresser en lui faisant miroiter le spectre de la justice sélective. Cependant, Damas n’étant guère innocente du sang versé au Liban, un travail de mémoire et de détermination des différentes responsabilités aurait accéléré la dynamique de la réconciliation nationale, laquelle aurait à son tour, unité islamo-chrétienne refaite, ouvert grand la voie au rejet de l’occupation et au rétablissement de la souveraineté. En d’autres termes, Damas aurait eu à faire au Liban à un 14 mars 2005 dans les premières années de la décennie 1990.  D’où la décision de Damas d’opter pour l’amnésie volontaire, capable, elle, dans la dynamique exactement contraire, de permettre la reproduction des mêmes erreurs, et donc de garantir la nécessité et la pérennité du Léviathan/arbitre/juge/souverain autoproclamé syrien au Liban.         

Qu’est-ce que tout cela signifie ? Eh bien, qu’il est simplement impossible de renoncer à la justice pour aboutir à une véritable réconciliation, seule garante de stabilité. Il n’est donc pas question de concéder quoi que ce soit ni concernant le principe de la justice et de la fin de l’impunité, ni sur le Tribunal spécial pour le Liban. Le texte est clair à ce sujet. Il n’existe donc aucune velléité d’aider celui qui se sera avéré avoir commis les crimes, quel qu’il soit au final, à échapper aux sanctions. Au contraire. Le texte part du principe d’exigence absolue non seulement du respect de la justice, mais aussi de son application, et donc de la punition des coupables. Il n’y a donc, à ce niveau, pas le moindre changement par rapport à l’attitude du 14 Mars partisan.

Voici donc un premier malentendu éventuel dissipé. Reste le second, celui qui perçoit la réconciliation comme une formule compromissoire pour tendre la main au Hezbollah et le sortir de son éventuel malheur de mis en accusation, pour que tout le monde soit beau et gentil comme dans un conte de fées. Or, une fois de plus, il n’en est rien. Penser que ce texte s’adresse directement au Hezbollah, et que la partie concernée par l’idée de la réconciliation est le parti de Hassan Nasrallah, c’est se méprendre sur l’ensemble de l’initiative. Encore une fois, la nouveauté de ce texte, fort justement, est d’établir pour la première fois un lien de cause à effet entre l’établissement et l’application nécessaires et incontournables – sans compromis aucun – de la justice, et l’idée de la réconciliation. Présenter donc ce texte comme une issue de secours pour éviter une éventuelle confrontation politique avec un Hezbollah accusé, c’est en mutiler l’esprit même. Ce document n’a pas été rédigé dans un souci d’instantanéité, du moins pas dans la partie qui concerne la réconciliation. Sa revendication immédiate, urgente, est au contraire l’attachement irrédentiste à la justice et au transfert des coupables devant la justice internationale.

Le souci de ce texte est ailleurs. Il est dans la durée, dans le temps de l’après-acte d’accusation. Il en a passé le cap. Il ne faut donc pas le lire avec les yeux d’un citoyen prisonnier de l’équation actuelle mise en place par le Hezbollah, du pseudo choix tragique à faire entre la justice et la stabilité. Ce document a déjà fait son choix, et n’en est plus à ce genre de questionnement essentiel et stérile. Il a déjà pris fait et cause pour la justice, et c’est la volonté de consolider et d’enraciner définitivement la stabilité dans la durée, par la réconciliation, qui l’anime. D’où le fait que le Hezbollah – qui obnubile à présent les esprits par son arrogance et ses manifestations de puissance à travers ses interminables et violentes logorrhées de son chef et de ses cadres – n’est pas du tout le centre d’attention de cette initiative. Ce qui intéresse ce texte, c’est une réconciliation de l’âme libanaise, et donc de ses composantes sociocommunautaires historiques, et non la réconciliation d’un camp politique avec un parti surarmé. Cette dernière est de l’ordre du détail, et, du reste, impossible.

En ce sens, le document fondateur du RJR s’inscrit parfaitement dans l’esprit et la logique de l’intifada de l’indépendance, qui était l’instant de réconciliation historique libanaise par excellence entre les Libanais : réconciliation des communautés les unes avec les autres dans un espace central, celui de la Cité, et réconciliation des citoyens, des individus les uns avec les autres, au cœur de ce même espace. D’ailleurs, il n’échappera à personne que le slogan de l’intifada de l’indépendance, développé au centre-ville dans la foulée de l’assassinat de Rafic Hariri, était le suivant : « Vérité, liberté, unité nationale ». Ce slogan remplaça en effet, des février 2005, le cri de guerre des partis de l’opposition chrétienne durant toute la période de l’occupation syrienne : « Liberté, souveraineté, indépendance ». Or à la « vérité » correspond l’exigence de justice, sa recherche et son établissement. Le corollaire politique du principe de la liberté, c’est la souveraineté et l’indépendance. Quant à l’unité nationale, elle correspond, dans la pratique, à la réconciliation des composantes sociocommunautaires qui fondent le pacte national dans le cadre d’un projet commun, le Liban.

Or l’idée de la liberté est immanente dans ce texte, puisqu’elle en est le principe philosophique moteur, ou encore le cadre régulateur qui permet son existence et sans laquelle l’initiative toute entière serait vidée de son sens – d’où la référence historique au début du texte au double-exploit de la Libération (al-Tahrir) du territoire face à Israël, et de l’Indépendance (al-Istiqlal) face à l’hégémonie politique et militaire de la Syrie. En amont, c’est donc le cadre que la liberté garantit qui peut permettre de réaliser enfin le lien qui nous intéresse, entre la justice et la réconciliation.

Dans la pratique, cela signifie – et pour la première fois, face à l’impunité ancestrale du crime – qu’à l’ombre de la règle de droit établie va pouvoir se rétablir aussi à la fois et enfin la potentialité de l’égalité et de la légalité, ce qui ouvre la voie grande à une redéfinition du périmètre interne de l’Etat après la redéfinition de son périmètre externe (le rétablissement de la souveraineté par le biais de l’intifada de l’indépendance). Le problème n’est donc plus le Hezbollah inscrit dans la vieille problématique du monopole de la violence légitime, mais l’après-Hezbollah, dans une dynamique de redéfinition d’un espace commun avec une grande partie de la communauté chiite, restée coincée, du fait du Hezb, dans une temporalité antérieure à celle de l’instant de réconciliation historique représenté par l’événement fondateur du 14 mars 2005.   

Voici le texte de l’appel du « Rassemblement pour la Justice et la Réconciliation » :

—————-

L’Appel du  « Rassemblement pour la Justice et la Réconciliation »

Cet appel s’adresse à toutes les personnes concernées par l’avenir de leur pays et qui ne veulent pas rester les bras croisés dans l’attente de ce qui pourrait arriver. Il les convie à unir leurs efforts et à réfléchir ensemble aux moyens de tourner définitivement la page de la guerre et d’œuvrer, sur base de la justice, à une réconciliation nationale. Il propose pour cela la mise sur pied d’une structure d’action et de coordination – un rassemblement pour la justice et la réconciliation–  qui puisse permettre à la société libanaise d’assumer ses responsabilités dans cette étape cruciale de l’histoire de notre pays.

 

I- Depuis plus d’un demi-siècle, le Liban vit en état de guerre permanente, ponctué de trêves plus ou moins longues. La guerre de 1958 fut la première, suivie en 1975 par le long conflit qui dura 15 ans, au bout desquels les camps en présence ont fini par imploser en des guerres intestines. Les conflits intracommunautaires se sont substituées aux guerres intercommunautaires.  Durant la même période, cinq guerres avec Israël ont eu pour théâtre le Liban : en 1978,  en 1982  qui a conduit à l’occupation de sa capitale, en 1993, en 1996, et la dernière en 2006 qui a entrainé d’importantes pertes humaines et la destruction de ses infrastructures. Notre pays a également connu une présence militaire palestinienne depuis  les accords du Caire (1969), une occupation israélienne qui s’est poursuivie de 1978 à 2000, et une mainmise syrienne sur le pays qui s’est maintenue de 1990 à 2005.

 

Les Libanais vivent aujourd’hui sous la menace d’un nouveau conflit, sommés qu’ils sont de choisir entre la justice ou la paix civile. On les somme de renoncer à l’exigence de justice pour les assassinats politiques et les attentats perpétrés depuis 2005. Il leur est demandé d’accepter le fait accompli des armes et de se résigner à vivre en permanence dans la peur les uns des autres, hantés en permanence par les peurs du passé que ravivent les conflits d’aujourd’hui.

 

A cette peur des lendemains difficiles s’ajoute chez les Libanais le sentiment qu’ils ne sont plus maîtres de leur destin et que leur avenir se décide hors des frontières nationales, dans des négociations entre les Etats de la région sur lesquelles ils n’auraient aucune prise.

 

*****

 

II- Pourtant les Libanais ont, à leur actif, des réalisations communes dont peu de pays de la région peuvent se prévaloir :

  • Ils ont été les seuls dans la région à reconnaître et accepter la diversité de leur société et à créer, sur la base de cette reconnaissance, un régime politique basé sur le pluralisme et la démocratie ; doté d’une justice autonome par rapport au pouvoir politique. Ils ont été également les seuls, avec l’accord de Taëf (1989), à placer le vivre-ensemble au fondement de la légitimité nationale.

 

  • Ils ont été les seuls, parmi les pays arabes de la région, à avoir libéré leur territoire de l’occupation israélienne sans faire de concessions, forçant Israël à mettre en application une résolution internationale, la résolution 425 adoptée par les Nations Unies 22 ans auparavant (1978).

 

  • Ils ont enfin été les seuls dans cette région à se libérer d’une dictature en se mobilisant pacifiquement sans avoir recours à la violence ou à une aide extérieure. Il n’y a pas dans l’histoire de la région, et même ailleurs, l’exemple d’une manifestation, comme celle du 14 mars 2005, qui a regroupé plus du tiers de la population d’un pays et forcé l’armée syrienne à se retirer au-delà des frontières.
  • 

 

*****

 

III- Il est temps pour les Libanais de reprendre en main leur destin national en mettant un terme à ce cycle ininterrompu de violences et de mort et en renouant avec le « rêve libanais » qui a vu le jour au printemps 2005 : rêve de jouir en paix avec eux-mêmes et avec les autres de la douceur de vivre qu’engendrent la diversité exceptionnelle de leur société et leur capacité exceptionnelle à nouer des liens entre eux et avec le monde.

 

La justice est le seul moyen dont ils disposent pour mettre fin à leurs guerres et réhabiliter la règle du droit et de la loi qui est au fondement de leur vie commune. En 1989, au sortir d’un long confllit, ils ont choisi de refonder leur paix civile, non sur un acte de justice, mais sur une loi d’amnistie. Or cette loi n’a pas réussi, indépendamment de l’application arbitraire qu’elle a connue, à tourner la page du passé qui a continué à peser lourdement sur le présent des Libanais, hypothéquant leur possibilité de se projeter dans l’avenir.

 

C’est cette exigence justice qui sert de fondement à un Liban enfin réconcilié avec lui-même. C’est cela qui donne toute son importance au Tribunal Spécial pour le Liban appelé, pour la première fois depuis le début de nos guerres à juger les auteurs d’un crime politique, mettant ainsi fin au régime d’impunité qui a longtemps prévalu aussi bien au Liban que dans la région.

 

*****

 

IV- Mais pour que cette justice puisse servir à tourner définitivement la page du passé, plusieurs conditions sont nécessaires :

 

Il est tout d’abord nécessaire d’empêcher son instrumentalisation par un l’un ou l’autre camp. La justice s’adresse aux individus et non aux collectivités auxquelles ils appartiennent. Il n’y a pas au Liban des communautés « innocentes » et d’autres « coupables ». Il est grand temps de mettre un terme à la politique de réduction d’une communauté aux partis ou aux hommes politiques qui prétendent la représenter, politique qui est à la source de tous nos problèmes, car elle fait assumer aux citoyens la responsabilité de décisions politiques que d’autres ont pris pour eux sans même les consulter.

 

Il est également nécessaire de ne pas faire d’amalgame entre un acte d’accusation qui initie un processus de justice et le verdict d’un tribunal qui marque son aboutissement. Cet amalgame est dangereux, car il remet en question la notion même de justice, le suspect étant « condamné » avant même d’avoir été jugé et d’avoir pu se défendre. Ainsi, il sera toujours impossible de tourner, sur base de l’exigence de justice, la page du passé.

 

Il est enfin nécessaire d’initier un processus de réconciliation de chaque Libanais avec lui-même et avec les autres. Cette réconciliation ne peut se faire que sur la base d’une reconnaissance de notre responsabilité commune dans les guerres qui ont ravagé notre pays , ayant tous, à un moment ou à un autre, eu recours aux armes et recherché dans les guerres que nous nous sommes livrées l’aide de forces extérieures, renonçant de ce fait à notre indépendance et notre souveraineté pour être finalement réduits, sans même nous en apercevoir, au rang de simples instruments dans les guerres qui se sont succédées !

 

Cette reconnaissance de notre responsabilité commune est essentielle. Elle ne se situe pas à un niveau politique, mais éthique. L’assassinat de Rafic Hariri n’est pas unique dans son genre, mais c’est il est le seul à faire l’objet d’un procès en justice. A défaut de pouvoir juger tous les autres crimes, il est nécessaire, en vertu de l’exigence de justice et en faveur de tous les morts des guerres libanaises, de reconnaître notre responsabilité morale pour tous les crimes qui ne feront pas l’objet d’un procès équitable. Cette reconnaissance qui réhabilite notre système de valeurs permet de refonder notre vivre-ensemble sur des bases nouvelles.

*****

 

V- Cette réconciliation, pour être effective, doit conduire les libanais à lever d’abord les hypothèques communautaires qui bloquent la mise sur pied d’un Etat capable de protéger leur vivre-ensemble et d’assumer ses responsabilités à l’égard de ses citoyens en assurant leurs droits essentiels :

 

  • Le droit de vivre dans un pays qui ne soit pas un champ permanent de bataille au service d’intérêts partisans ou étrangers, un pays où le monopole de la force n’est pas détenu par des partis politiques ou des milices armées, mais par l’Etat, seul autorisé à prendre des décisions qui engagent les citoyens.

 

  • Le droit de vivre dans le cadre d’un Etat civil où l’individu n’est plus réduit à sa seule dimension communautaire, amputé de sa dimension citoyenne,  un Etat de droit où la loi qui est l’expression de la volonté générale est la même pour tous,  où la justice est indépendante du pouvoir politique, où l’administration n’est pas au service d’intérêts communautaires ou partisans, où la participation du citoyen à la vie publique est garantie par une loi électorale moderne, une décentralisation administrative…

 

  • Le droit de vivre dans une société moderne et ouverte, respectueuse d’elle-même, où le citoyen peut choisir de n’être plus régi par un statut personnel religieux, mais civil, où la femme n’est plus victime de mesures discriminatoires, où le respect de l’être humain est le même pour les nantis comme pour les démunis, pour les travailleurs libanais comme pour les travailleurs étrangers, où les lois imposent le respect de la nature, empêchent les atteintes à l’environnement, préservent le patrimoine historique, protègent la santé des consommateurs…
  • 

*****

VI- La réconciliation des Libanais devrait également se traduire par une nouvelle vision de leurs rapports avec leur environnement régional. Il ne s’agit plus de solliciter l’aide de l’extérieur dans les luttes internes, mais de participer à transformer l’environnement extérieur régional pour asseoir la paix interne et permettre ainsi au Liban de jouer son rôle dans la mise sur pied d’un nouveau Machreq (Levant) arabe affranchi des servitudes du siècle passé et des conflits interminables qui l’ont marqués et libéré de la violence qui l’habite actuellement. Un Machreq capable de recouvrer le rôle d’avant-garde qui a été historiquement le sien durant la période de la Nahda. Un Machreq qui pourrait jeter les bases d’une  nouvelle vision de l’arabité libérée de tout contenu visant à l’exploiter au service d’une religion, d’un Etat ou d’un parti ; une arabité culturelle qui intègrerait les concepts de diversité, de démocratie, de tolérance, de respect des droits de l’homme, une arabité qui accorderait la priorité à une solution juste et durable du problème palestinien qui est la condition nécessaire pour mettre fin à cet affrontement qui, depuis de longues décennies, entrave le développement du monde arabe et hypothèque ses relations avec l’Occident.

 

 

*****

Les signataires

 

Abdel Salam Moussa (journaliste), Ahmed Ayache (journaliste), Antoine Courban (médecin et professeur d’université), Aline Karim (journaliste), Anouar Rafeh, Asma Andraos, Assaad Béchara (journaliste), Ayman Abou Chacra (journaliste), Ayman Charrouf (journaliste), Ayman Jezzini (journaliste), Aziz Karam (syndicaliste), Bachir Assaker (avocat), Bahjat Salamé, Berri Assaad (médecin), Chahine Abdallah, Charles Jabbour (journaliste), Chaouki Dagher (avocat), Daniele Gergès (journaliste), Darine Helweh (journaliste), Dina Lteif, Edmond Samaha (ingénieur), Elias Atallah (ancien député), Elias Moukheiber (avocat), Elie Fawaz (journaliste), Elie Hajj (journaliste), Elie Mahfoud (avocat), Emile Bouchkanji, Emile Nejm (médecin), Fady Bustros (consultant), Fady Makarrem, Fady Toufaily (journaliste), Fady Toufic (écrivain et journaliste), Farès Souaid (ancien député), Fouad Farah, Georges Abou Zeid, Hadi Amine (chercheur), Hanine Ghaddar (journaliste), Hassan Kotb (chercheur), Hassan Kozma (ingénieur), Ibrahim Gemayel (consultant), Ismaïl Charafeddine (médecin), Jad Ghorayeb ( ingénieur) , Jad Yateem (journaliste), Jean Badih Harb (avocat), Jean-Pierre Katrib, Jihad Mouraccadeh (économiste), Joseph Farah (avocat), Kamal Batal (ingénieur), Kamal Richa (journaliste), Kamal Zouki, Khaled Hachem (ingénieur), Léa Baroudi (consultante), Marc Ayoub, Maroun Salhani (journaliste), Marwan Sacre (avocat), Maya Sukkar (journaliste), Mayad Haidar (avocat), Michel Hajji Georgiou (journaliste), Michel Lyane (ancien bâtonnier), Michel Mecattaf, Michel Touma, Michel Youssef Khoury (avocat), Mohammad Chami (journaliste), Mohammad Hamdane, Mohammad Harfouche (journaliste), Mohammad Hussein Chamseddine (écrivain), Mohammad Machmouchi (journaliste), Mohammad Matar (avocat), Mona Fayad (professeur d’université), Moustapha Fahs (journaliste), Nabil Kharrat (médecin), Nadim Abdel Samad, Nadim Koteich (journaliste), Nagi Bassil, Nasr Farah, Nassim Daher (écrivain), Nassir Assaad (journaliste), Naufal Daou (journaliste), Nawal Nasr (journaliste),  Nazih Darwiche (chercheur), Nicole Fayad, Omar Harkous (journaliste), Raja Bedrane (homme d’affaires), Raja Noujaim, Raymond Maalouf (ingénieur), Rony Sacre (avocat), Riad Taouk (journaliste), Rouba Kabbara (journaliste), Rudi Haddad, Samir Frangié (ancien député), Sana Jack (journaliste), Shirine Abdallah, Tony Habib (ingénieur), Yakzane Taki (journaliste), Youssef Bazzi (journaliste),Younès Chebli (médecin), Youssef Zein (homme d’affaires), Ziad Sayegh (écrivain et journaliste), Zouheir Abdallah, Zahwa Majzoub (professeur d’université)

 

Les personnes intéressées à participer à la création de ce rassemblement peuvent contacter les signataires de cet appel à l’adresse suivante :aadala.mousalaha@gmail.com

Le 14 mars 2005, une « erreur historique »?   Leave a comment

Il existe une tendance chez certains, qui par intérêt politique (aussi bien au sein des forces dites du « 14 Mars » que du 8 Mars), qui par manque de discernement, qui par désillusion profonde,  de considérer que le phénomène du 14 mars 2005 était une sorte d’« accident de l’histoire ». Preuve en est, la désagrégation du mouvement depuis cette date, avec les défections de Michel Aoun (pour des raisons liées à des considérations étroites de partage du pouvoir), puis de Walid Joumblatt (sous la contrainte de l’expédition punitive du Hezbollah le 7 mai 2008), et par les réserves exprimées ultérieurement sur certains points de forme par les Kataëb et le Renouveau démocratique.  

Evidemment, il convient plus que jamais de se livrer a une analyse en profondeur du 14 mars 2005 comme dynamique complexe opposant deux courants, deux approches différentes du pays – la première de ces approches serait consensuelle-communautaire, et la seconde plus soucieuse de l’épanouissement de l’individu, loin du carcan communautarien. Mais il ne faut pas pour autant infirmer l’importance de ce phénomène, ni son caractère historique. Car, en dépit des erreurs monumentales des partis et des personnalités politiques qui ont récupère ensuite le label 14 Mars sur la scène politique, ce phénomène cumulatif a bien été le fruit d’une longue maturation, d’une longue montée vers la conscience, articulée certes autour du rejet de l’occupation syrienne du Liban, mais aussi fruit d’un long dialogue entre les différentes parties sur une dizaine d’années (dialogue interne d’ailleurs sciemment rendu quasi impossible par la Syrie et ses alliés locaux). Et l’on semble oublier aujourd’hui que cette dynamique était principalement fondée sur l’idée du rejet de la violence et de la réconciliation nationale (en tournant la page de la guerre civile).  

 L’une des étapes fondamentales – mais peu évoquées – de ce parcours a été sans aucun doute le camp de Baakline, qui avait réuni, en juillet 2001, quelques jours avant la réconciliation historique de la Montagne entre le patriarche maronite, Mgr Nasrallah Sfeir, et Walid Joumblatt. J’ai eu la formidable chance de prendre part à cet événement. En tant que membre de l’ONG Nouveaux droits de l’homme, j’avais été chargé de diriger l’un des groupes réunissant des jeunes des différents partis politiques présents, et donc de diriger le débat. Expérience inoubliable, puisqu’ elle prouvait que le 14 mars 2005 et « l’opposition plurielle » du Bristol existaient déjà à l’état de ferment en 2001.

En relisant le compte-rendu ci-dessous pour L’Orient de cette expérience, je m’aperçois que le Hezbollah et Amal, forces représentatives du 8 Mars, avaient d’ores et déjà décidé de boycotter la dynamique souverainiste et de réconciliation plurielle – et qu’il n’y a donc pas eu accident de parcours. Le courant Hariri, malgré son extrême prudence à l’époque et son attachement à une multitude de nuances, était, lui, bien présent… De même que la gauche, avec les étudiants communistes qui devaient plus tard former le noyau de la Gauche démocratique d’Elias Atallah et Samir Kassir. Saisissant.   

 —————————————————

Partis – Aounistes, PNL, Kataëb et FL se retrouvent avec le PSP, le PCL et les haririens à Baakline –

Les jeunes en quête d’un dialogue national

Par HAJJI GEORGIOU MICHEL | 16/07/2001

 

Réunir des jeunes des Forces libanaises (FL), du Courant du futur du Premier ministre, Rafic Hariri, (la présence des représentants de ce mouvement a été fortement remarquée), du Parti national libéral (PNL), de la Jeunesse progressiste, du Parti communiste libanais (PCL) et de tous les micro-organismes qui en découlent, du parti Kataëb et du Courant patriotique libre (CPL-aouniste) autour des thèmes du dialogue et de l’acceptation de l’autre, telle est la gageure qu’a tenue le Parti socialiste progressiste (PSP) le week-end dernier à l’école secondaire de Baakline dans le Chouf, dans le cadre de la Rencontre des jeunes pour le dialogue. Une initiative qui a demandé, si l’on en croit les jeunes du PSP, quelque six mois de travail ardu, l’objectif étant «de favoriser la communication entre les différents partis de l’opposition indépendamment de leur appartenance communautaire et d’aboutir à un consensus concernant l’attitude à adopter face à la présence syrienne».

Une rencontre qui a porté ses fruits, à en juger par le climat de convivialité qui a régné au cours de la rencontre, à l’exception d’un incident notable : l’arrestation samedi soir de deux jeunes du PCL qui se querellaient dans la cour intérieure de l’école par des militaires, postés tout autour de l’établissement public. Les deux jeunes auraient été transférés au poste de gendarmerie de Saadiyet, selon leurs camarades du parti, outrés par le comportement des forces de l’ordre.

Fait exceptionnel au cours de cette rencontre, la volonté des jeunes d’aller chercher l’autre, de l’interroger, de le cerner et de l’accepter. Au cours des ateliers de travail, véritables lieux de débats entre les jeunes des différents partis, les étudiants du PSP, du PCL et du Courant du futur s’insurgent contre le nombre relativement réduit des partis chrétiens (des délégations de 35 personnes de chacun des partis chrétiens pour quelque 300 étudiants des formations de gauche) : «Nous voulons des représentants des FL, du parti Kataëb et du PNL. Nous sommes venus ici pour discuter avec eux. Nous ne voulons pas dialoguer avec nos camarades du parti», déclare un des participants. Un autre du Parti communiste affirme : «Il est de notre devoir, en tant que partis appelant au dialogue, de nous poser en corps intermédiaires pour assurer une médiation entre les courants radicaux», en faisant allusion au Hezbollah, grand absent de la rencontre.

Côté FL et PNL, on a accueilli l’initiative du PSP avec un enthousiasme non dissimulé. Les jeunes des Forces libanaises insistent à dire qu’ils ont «passé la nuit au camp dressé par la Jeunesse progressiste» pour montrer à quel point ils sont venus avec de bonnes intentions. L’un d’eux dit à l’adresse d’un jeune du PSP : «Pour être sincères avec vous, nous n’aimions pas Walid Joumblatt avant. Mais maintenant c’est différent. Il a acquis une envergure nationale. Lorsque nous avons dit à nos parents que nous allions passer la nuit au Chouf, ils se sont d’abord inquiétés, puis ils nous ont encouragés. Tout cela, c’est à cause de la nouvelle dimension de Walid Joumblatt».

Focus sur la présence syrienne

Invités à discuter de deux volets, l’un économique et l’autre politique, les jeunes, tous courants confondus mais à des degrés différents et avec certaines nuances, se sont focalisés sur la question de la présence syrienne au Liban.

Dès son entrée dans une des salles d’atelier, l’un des étudiants du Courant aouniste réunit autour de lui les jeunes des autres partis et pose le problème de la présence syrienne au Liban. Une présence que d’autres jeunes de gauche n’hésiteront pas à qualifier d’«occupation». Une militante communiste demande la parole : «Je veux parler de l’occupation syrienne du Liban. Une occupation via les services de renseignements syriens, la présence des forces syriennes, la main-d’œuvre syrienne abondante et illégale, la contrebande de marchandises qui porte atteinte à notre économie». Et de provoquer les applaudissements des aounistes, du PNL, des FL et de ses camarades du parti. Un autre du PSP fait objection : «Nous ne pouvons pas parler d’occupation. Il s’agit d’une présence hégémonique», sans toutefois objecter sur le fond. Les jeunes du Courant du futur, eux, restent silencieux. Ils montrent quand même clairement qu’ils refusent le terme «occupation»…

Côté économique, la Syrie est presque accusée par tout le monde de tous les maux. Répondant à un jeune FL qu’elle accuse de faire de la surenchère concernant l’hostilité vis-à-vis de la Syrie, une militante communiste se laisse aller, jusqu’aux limites du respect : «Vous n’êtes pas les seuls à pâtir de cette occupation. Je suis originaire de la Békaa, où les soldats syriens sont postés un peu partout. Ils n’ont aucune discipline». Un jeune aouniste lance alors cette boutade : «Donnez-lui la carte de notre mouvement». «Puisque nous sommes tous d’accord, pourquoi ne pas commencer à penser à des moyens efficaces pour contrer la tutelle syrienne ?», lance un étudiant communiste. Un progressiste lui répond : «Il est de la responsabilité de l’État de rééquilibrer les relations entre les deux pays». Devant la surprise que peuvent susciter de tels propos de la part des communistes, ces derniers répondent: «Vous êtes surpris? C’est peut-être parce que nous tenons un langage différent de celui qui est employé par nos représentants. Ils ne nous représentent pas du tout». Le secrétaire général du PCL, Farouk Dahrouj, ne les représente-ils pas? «Non. Nous nous représentons nous-mêmes», insiste une militante.

Au Hezbollah, le PSP, les FL, le PNL, les communistes et les aounistes demandent de coordonner ses opérations pour la libération des fermes de Chebaa avec le gouvernement Hariri, sous l’œil satisfait des jeunes du Courant du futur. L’État est également appelé à déployer l’armée au Liban-Sud. «Qui peut penser un instant que l’armée va défendre les frontières d’Israël, comme le soutient la thèse officielle?», s’interroge un jeune progressiste.

D’autres thèmes font l’objet de plus de divergences entre les formations de droite et de gauche, notamment l’arabité du Liban et le laïcisme, revendiqués avec insistance par les groupes de gauche, et qui n’intéressent pas en priorité les partis de droite. Certaines formations ont leur thèmes-cheval de bataille : la caducité de l’accord de Taëf pour les aounistes, la libération de Samir Geagea pour les FL, l’abolition du confessionnalisme pour les communistes, le développement économique pour les haririens et les dangers de la mondialisation pour le PSP… Au-delà de toutes les différences, une militante communiste réaffirme son attachement à l’entente nationale, en réclamant la nécessité du retour de Michel Aoun et la libération de Samir Geagea «pour consacrer le dialogue à l’échelle nationale». Silence consentant dans la salle.

Une expérience de communication assez particulière, fruit de la volonté de jeunes Libanais réunis par l’attachement qu’ils ont pour le Liban et par le souci d’un avenir qui s’annonce difficile et pour lequel ils devront travailler dur, ils en sont tous conscients. Une expérience à rééditer, selon l’avis de toutes les formations en présence. «Cela pourrait se reproduire très bientôt», a promis un militant des FL, en faisant part de la volonté de son parti de faire écho à l’initiative du PSP avant la fin de l’année. Reste que l’absence d’Amal et du Hezbollah, pourtant conviés et attendus, a été critiquée. Ce qui a incité un journaliste*, au cours de son intervention, à faire la distinction entre les partis favorables au dialogue et les partis qui sont, pour l’instant, obnubilés par leur propre opinion, en l’occurrence Amal et le Hezbollah.

* Samir KASSIR